Radical.
Pourquoi j’ai décidé de quitter l’Élysée et de me lancer à mon compte.
1. Le grand saut
En 2014, je tombais dans la politique. Fraîchement diplômée, je faisais le pari un peu fou à l’époque de m’engager aux côtés de celui qui n’était alors “que” député : Bruno Le Maire. À un peu plus de 20 ans, j’étais “la-jeune-à-l’aise-sur-les-réseaux-sociaux” et, de fil en aiguille, je suis devenue en charge de sa communication numérique. Ma meilleure expérience professionnelle (et humaine). Parce que j’ai eu la chance d’avoir sa confiance et donc très tôt beaucoup de liberté.
Première interview d’un politique avec un Youtubeur en France, seul politique à faire des questions/réponses tous les mois en direct sur Facebook… Forcément, cela peut paraître désuet avec le regard d’aujourd’hui. Mais ce n’était jamais innover pour dire d’innover. Ces nouveaux formats ont servi à imprimer ce qui allait devenir, à l’époque, sa marque de fabrique : une pratique moins descendante de la politique.
L’aventure s’est poursuivie à Bercy, lorsqu’en 2017 il fut nommé ministre de l’Économie et des Finances. Autre cadre — moins agile qu’une campagne. Autres défis — le sujet (passionnant) de savoir comment mieux faire de la “pédagogie” sur l’action d’un Gouvernement et toucher les publics directement concernés, le combat permanent (et moins passionnant) contre la lourdeur technocratique toujours rétive au changement. Je ne regrette rien de ces 14 mois qui, par leur intensité, m’auront autant appris que 5 ans de vie pro. Et à l’été 2018, j’ai fait le choix d’en partir. Parce que j’ai toujours considéré qu’il fallait savoir sortir au bon moment : celui où l’on commence à moins apprendre, où l’on sent sa capacité à proposer des choses nouvelles progressivement s’assécher, où l’on baisse plus souvent les armes face à la machine institutionnelle. Je savais que c’était le signal pour sortir de la lessiveuse et s’oxygéner. Et c’est à ce moment-là, après avoir pris quelques mois pour relever la tête du guidon, que j’ai écrit Sans filtre, mi-exutoire mi-manifeste.
En septembre 2020, je replongeais, cette fois à la com’ numérique de l’Élysée. Là aussi : autre cadre, autres défis. Comment arriver à dépasser le plafond de verre des abonnés à un compte de politique et aller parler à ceux qui ne font pas la démarche de les suivre ? Comment, sur des thématiques aussi spécifiques que variées comme le harcèlement scolaire, le congé paternité ou les aides aux entreprises, faire en sorte que les messages et les mesures parviennent aux principaux intéressés ? Beaucoup a été écrit sur la “stratégie des influenceurs” — une expression aussi putaclic qu’un titre de magazine people— en ne commentant souvent que la face immergée de l’iceberg et les plus gros formats. En dessous, se trouvent aussi de plus petits “influenceurs” thématiques légitimes sur leurs sujets et qui peuvent contribuer à faire connaître des politiques publiques.
Fin décembre, j’ai quitté l’Élysée. Car un sentiment d’overdose montait en moi depuis quelques temps : une overdose vis-à-vis des réseaux sociaux. Ballot, me direz-vous, quand c’est le coeur de son job. Mais moins que ces plateformes, c’est surtout l’usage que nous en faisons qui, à un moment donné, m’a paru ne plus tourner rond.
2. Une histoire de robinet ouvert
Ce qui ne tourne pas rond, c’est une certaine peur du vide.
C’est l’injonction qu’il faudrait communiquer sur tout, tout le temps, relayer ses moindres faits et gestes. C’est une inflation verbale jusqu’à l’overdose. Jusqu’à voir des comptes de Twitter de politiques devenir des romans-photos relatant le moindre déplacement, la moindre interview, la moindre journée mondiale. La mort de Belmondo ? Vite, un tweet. Une commémoration historique ? Vite, un tweet. Une victoire sportive ? Vite, un tweet. Pour « cocher la case ». Comme si quelqu’un attendait leur réaction (spoiler : non). Tout est mis au même niveau : il n’y a plus de hiérarchie entre ce qui est important et ce qui ne l’est pas. C’est un robinet ouvert en permanence. Que reste-t-il d’audible dans ce bruit continu ? Et surtout : pour quel impact ? 200, 300 retweets ? Sur plusieurs centaines de milliers d’abonnés. Et, accessoirement, 67 millions de Français.
C’est aussi l’injonction qu’il faudrait être sur toutes les plateformes avec cet argument tarte à la crème : « il faut aller parler aux gens là où ils sont ». Non, quand vous avez 55 ans et que vous aimez la musique classique, vous n’êtes pas obligé d’avoir un compte TikTok. Parce que vous n’en aurez jamais les codes. Et ce n’est pas grave. Ce n’est pas parce que vous êtes sur TikTok que vous allez parler aux jeunes. Comme Jean Massiet l’a dit bien mieux que moi : « on ne vous reprochera jamais de ne pas être sur un réseau social. Mais on vous reprochera de mal être sur un réseau social ». Tout le monde n’est pas Alexandria Ocasio-Cortez et ne peut pas faire un live Instagram dans sa cuisine en parlant de législation tout en coupant des concombres. Et ce n’est pas grave. Un Bruno Le Maire sera plus à l’aise à l’écrit qu’en vidéo là où un Gabriel Attal arrive à être très pédago avec des Q&A en story Instagram ou un Jean-Luc Mélenchon qui a trouvé sa “patte” avec ses revues de la semaine sur Youtube.
3. « Et ce n’est pas grave » ou le manifeste de la radicalité
Dans ce bruit permanent, le vrai courage serait de renouer avec une rareté de la parole. D’assumer de n’être présent que sur 1 ou 2 réseau. D’oser, donc, fermer certains de ses comptes (et même d’en faire un argument). D’avoir l’humilité de ne pas en maîtriser tous les codes mais d’avoir une démarche sincère. C’est précisément l’exemple de Samuel Etienne avec Twitch : un univers à l’opposé du sien sur le papier et dont il a pris le temps de comprendre la culture avant de se lancer, en assumant d’être un boomer et, même, en s’en amusant.
Le vrai courage serait d’être complètement détendu à l’idée de ne potentiellement rien poster pendant 1, 2, 3 semaines sur vos comptes. Tout simplement parce que l’on n’a rien à annoncer. Et ce n’est pas grave. J’aurais toujours mille fois plus d’estime pour un politique qui ne partagerait que des actes concrets, des mesures qu’il a prises plutôt que de lire qu’il a visité une entreprise (formidable), qu’il est « ravi d’avoir rencontré son homologue et que les relations entre la France et XXX doivent être approfondies » (un message décidément fort) ou que « l’égalité femmes-hommes est primordiale » (c’est pas vrai ?!). Posez-vous la question de savoir ce que vous tweeteriez si vous n’aviez qu’un crédit de 4 tweets par mois…
Le vrai courage serait d’utiliser les réseaux sociaux comme un canal d’expression. Et non une curation de ses actu. Le meilleur exemple ? Ce réflexe curieux de partager des extraits vidéo de ses passages média ou l’art de placer ses abonnés derrière une vitre et leur diffuser un contenu tiers… plutôt que de leur parler directement. Je ne m’étendrai pas sur ceux qui poussent le vice jusqu’à annoncer leurs passages média, niveau ultime du personal branling oubliant que l’info n’est pas dans le fait d’être sur un plateau mais dans les messages qu’on veut y faire passer dont le média n’est que le relai.
Le vrai courage serait d’oser la radicalité. Si un politique gère par exemple lui-même son compte Instagram : OK, les photos ne seront peut-être pas léchées, peut-être pas toujours nettes, parfois avec des hashtags douteux de boomers, mais, au moins, il y aura un intérêt à le suivre car il montrera un bout de lui-même. Si, en revanche, on y trouve aussi des photos de lui, façon com’ politique à la papa (Martine visite une entreprise, Martine était sur le marché, Martine donne une interview…), où l’on voit très bien que ce n’est pas lui qui l’a prise : vous en perdez tous le bénéfice. Car le doute sera là.
4. L’oiseau et la branche dodue
J’ai lancé il y a deux ans Sur les Internets, une newsletter qui décrypte des formats innovants et créatifs. Une manière de *justement* garder la tête hors de l’eau et d’être toujours à l’affût des tendances comme des contenus les plus malins pour être audibles dans ce bruit ambiant. Auto-promo : si ce n’est pas déjà fait, vous pouvez vous y abonner ici.
Cette newsletter va continuer à grandir pour devenir, dans les semaines à venir, un média à part entière.
Mais je veux aussi passer l’étape d’après : créer ces formats.
Je ne crois pas aux agences de com’ à la papa qui gèrent la com’ des entreprises et dirigeants à leur place. Il suffit d’ouvrir Linkedin pour les voir à des kilomètres : des posts et tribunes de dirigeants qui ressemblent à des bingo bullshits aussi creux qu’interchangeables. Or qui mieux que ceux qui y travaillent au quotidien pour en incarner le ton ? Je crois en une ré-internalisation de la com’. Je crois en des agences dont le modèle ne serait pas une relation de dépendance mais des missions commando. En amenant un oeil neuf et créatif pour trouver le bon ton, les bons canaux, pour former des équipes aux tendances et bonnes pratiques, les challenger. Transmettre, les mettre dans les bons rails et les laisser voler de leurs propres ailes. Un business model qui n’a rien de scalable. Mais qui a du sens. Et, oui, pour ça, il faut avoir le culot de scier une branche dodue. Je crois en des agences qui créent. Qui soient les copilotes de leurs clients pour leur trouver les meilleurs freelances créatifs, mettre sa plus belle casquette de chef de projet et délivrer des formats qui envoient.